La nostalgie du présent. Tout comme les œuvres chargées en émotion d’artistes contemporains tels que Bob Moses et Jamie XX, la musique de Godford évoque la romance des longues nuits, des dernières nuits, et la mémoire de ce qui précède. Son premier album Non Binary Place est sorti en septembre 2020. Il capture l’intense complexité de ce sentiment, celui à partir duquel la vie ne sera plus jamais la même. Un endroit en dehors du temps, et l’opportunité de le revisiter seulement en appuyant sur play.

Non Binary Place est un album empreint de la nostalgie d’un passé qu’aucun de nous ne pourra plus jamais revivre. A une époque où des termes comme « influencer » ou « réalité » s’entremêlent dans une multiplicité de sens, la musique de Godford nous ramène vers une époque où le monde était vu au travers de nos yeux ouverts plutôt que par l’objectif d’un appareil. Alors que les réseaux sociaux peuvent parfois nous sembler comme un labyrinthe de miroirs dont on ne s’échappe pas, le producteur préfère demeurer anonyme pour ne pas créer d’engouement superficiel de la part de l’industrie, préférant offrir une ligne directe vers sa vraie personnalité à travers l’exploration des émotions sincères de sa musique, une langue qui transcende les frontières.

Créé avec un petit budget et un accès limité aux téléphones et à internet entre la campagne française et son studio parisien, l’album de Godford reflète ces différents environnements et les vraies personnes qui les composent. Évitant de se projeter dans une identité définie, NBP nous plonge dans un univers immersif composé des personnages de sa propre vie. « Un album est un moyen de proposer un voyage » confie-t-il, et chaque élément vocal présent sur l’album est un mémo déformé d’histoires et de discussions échangées avec ces amis. « Tout le monde est confortable au final car ce n’est pas leur vraies voix » explique Godford, leur permettant pendant ce court instant de révéler et transmettre leur vraie nature. En effet, ce mystère volontaire permet à l’auditeur de créer, il l’espère, une forte connexion à sa musique afin de construire la bande son du monde dans lequel il vit. « Mon plus grand souhait serait que mes chansons deviennent un marqueur temporel dans la vie de quelqu’un » souligne Godford, pour construire cette relation de proximité basée sur le sentiment plutôt que la perception.
La recherche d’appartenance de Godford a toujours été pour quelque chose de plus grand que lui, autant que l’exploration du fait qu’il ne se sente véritablement chez lui qu’en dehors des cases. Un de ses havres de paix demeure le club, où être seul signifie aussi toujours être ensemble («I saw you alone »), mais il fait partie de cette nouvelle vague de musiciens qui adhère à la notion que la musique de fête n’est pas incompatible avec vulnérabilité émotionnelle : « je considère ma musique comme électronique mais qui n’est pas directement créée pour les clubs ». A la place, il met la lumière sur le concept « d’indie rave » : étant plus que redevable à la scène alternative et son acceptation de l’expression libre des émotions, Godford utilise sa capacité à entrelacer différentes dimensions du son pour dépasser le cadre classique de la production maison pour quelque chose de plus abouti et d’irrémédiablement présent.

Des battements future garage du titre « Non Binary Place », aux oscillations transe des synthés du précédent single « Blue » et à l’envol exaltant de « Fear », il y a là un patchwork et un vas et vient qui culmine à son apogée au titre « Saw you », clignotement et hymne à la discrète dernière chanson de la soirée, rappelant cette révélation pleine d’espoir qui apparait lorsque que les lumières reviennent enfin. Ces échos pas tout à fait humains laissent leur empreinte, parcourant l’ensemble de l’album comme des bruits de pas sur la piste de danse, et finissent par se retrouver. Il y a une romance dans ces auto-tunes mélancoliques, un étrange bien être dans la compagnie d’inconnus, l’idée qu’il y a là-bas quelque chose de plus grand, malgré tout le reste : un monde meilleur.