La philosophie de Twin Peaks, c’est d’aller toujours plus loin. Et c’est exactement ce que fait le groupe depuis sa formation en 2010. De copains de lycée jouant du rock amateur approximatif dans leur cave, les cinq musiciens sont devenus l’un des ensembles les plus importants de Chicago. Aventureux et fascinants, leur dernier album Down In Heaven (2016) et la compilation Sweet ‘17 Singles (2017) nous avaient offert comme une mise à jour de leur rock juvénile et tapageur. Leur quatrième opus Lookout Low s’avère quant à lui une véritable révolution.

Mécanique déjà parfaitement huilée, le groupe a entrepris de capturer sur disque l’ambiance électrique de ses concerts. Les guitaristes Cadien Lake James et Clay Frankel, le bassiste Jack Dolan, le multi-instrumentiste Colin Croom et le batteur Connor Brodner ont travaillé sans compter dans leur studio et leur local de répétition. Le groupe, qui ne s’était jamais attelé à une tâche si contraignante, a enregistré 27 démos qu’il a répétées sans relâche jusqu’à ce qu’il en soit satisfait. « Nous nous sommes astreint à des répétitions quasi quotidiennes pour arriver à un résultat quasi parfait », explique Dolan.

Le fait d’être réunis si souvent dans la même pièce a permis de nouvelles expériences. « C’est notre aventure la plus collaborative. Nous voulions essayer toutes sortes d’idées bizarres le plus ouvertement possible », explique Brodner. Le single « Dance Through It », par exemple, qui a d’abord été une simple démo que le groupe décrit en riant comme une sorte d’hommage à Sheryl Crow, a pris toute sa dimension quand Croom a suggéré des modifications complètes dans la section rythmique, donnant à l’arrangement des accents gospel et soul. Parce que le groupe a accepté de réinventer la chanson, cette dernière est l’une des plus marquantes de Lookout Low. Quand James en chante le refrain, soutenu par les harmonies vocales du reste du groupe, on se dit que Twin Peaks tient là l’une des mélodies les plus efficaces qu’il ait jamais écrites. « Nous écrivons les chansons en collégiale. Ca serait bien plus facile si l’un d’entre nous menait la danse, mais on fait beaucoup d’effort pour que ça fonctionne et que tout le monde soit content », précise Frankel.

Après avoir élagué, le groupe s’est retrouvé avec une poignée de titres qui, les musiciens en étaient bien conscients, ne pourraient que bénéficier d’une aide extérieure. Le producteur légendaire Ethan Johns s’étant montré intéressé, Twin Peaks s’est lancé dans l’aventure et est allé s’installer pendant trois semaines au Monnow Valley Studio, au Pays de Galles. « Twin Peaks est le meilleur groupe de rock que j’aie entendu depuis longtemps », avoue Johns. « Non seulement ils ont quelque-chose à dire, mais ils le font de manière honnête, avec dévouement et passion. »

Le sentiment est partagé. Twin Peaks admire Johns pour sa collaboration avec Paul McCartney, Kings of Leon, et U2. « Quand on a réalisé qu’il enregistrait tout en live, on a été très intimidé, mais c’était très motivant. Nous avions besoin d’un défi à relever », confie James. A Monnow Valley, le groupe s’est laissé porter par le plaisir d’enregistrer en live, optant souvent pour la magie de la première prise, comme pour « Oh Mama » et pour la chanson ayant donné son titre à l’album. L’explosion d’adrénaline que Twin Peaks offre lors de ses concerts est le plus grand atout du groupe, un atout omniprésent sur ce disque.

Les chansons le composant débordent d’énergie, à l’instar du touffu titre d’ouverture « Casey’s Groove », porté la voix rassurante de James. Une fois la liste des morceaux établie, les Twin Peaks ont recruté leurs camarades de OHMME, un autre groupe de Chicago, pour les chœurs de sept de leurs dix titres. Certains d’entre eux, comme « Under A Smile », sont transformés par les harmonies vocales spectrales de Macie Stewart et Sima Cunningham. Croom a également orné tout l’album d’arrangements de cuivres évoquant parfois la mélancolie d’Allen Toussaint et l’Americana solide de l’E Street Band. Les percussions ajoutées par Kyle Davis donnent une dimension supplémentaire à ces compositions aux influences multiples. A première écoute, on s’aperçoit bien que le groupe a évolué en vase clos pour cet enregistrement, et c’est d’ailleurs ce qui leur a permis de se concentrer, au point de ne quasiment pas quitter les lieux durant tout le processus.

Si Lookout Low est aussi réussi, c’est que chacun des membres du groupe a donné le meilleur de lui-même en termes d’écriture. Le titre d’ouverture, que l’on doit à James, est sans aucun doute son plus abouti et son plus expérimental, tandis que la complainte introspective « Unfamiliar Sun », écrite par Dolan, s’avère le morceau le plus touchant de l’album. Quant à Croom, qui a rejoint le groupe après le deuxième album Wild Onion (2014), sa contribution sur « Laid In Gold » et « Ferry Song » est sans doute la plus novatrice. Pour ce dernier titre, Croom a quitté Chicago au printemps 2018 pour une semaine d’écriture à la Nouvelle Orléans. Il a séjourné à Algiers Point, se rendant chaque jour en ville par le ferry. Dans cette chanson, Croom accède à un degré de tessiture qu’il n’avait jusqu’alors que peu utilisé.

L’album se termine par « Sunken II », une chanson écrite par Dolan pour le groupe il y a plusieurs années, et qui montre bien tout le chemin parcouru par les membres de Twin Peaks depuis leurs débuts, en tant qu’amis et musiciens.

Aucun groupe ne pourrait donner naissance à un album d’une telle perfection sans ce lien unique se resserrant toujours un peu plus entre ses membres avec le temps. C’est un lien entre frères, un lien qui existe depuis maintenant presque dix ans. « On s’éclate tous à jouer ensemble, et on est devenus meilleurs au fil des ans », dit James. Dolan ajoute : « L’alchimie et l’amitié existant entre nous est intangible. Nous comptons énormément les uns sur les autres. »